Une de mes citations préférées est du Maître Gozo Shioda, fondateur de l’Aïkido Yoshinkan. Alors qu’on lui demandait quel était le geste le plus puissant dans l’Aïkido, Shioda répondit : « Devenir ami avec celui qui est venu vous tuer ». C’est quelque chose vers lequel j’essaye de tendre chaque jour, particulièrement dans mon travail en ligne de restauration sociale radicale.
Les communautés militantes en ligne peuvent être plutôt intenses émotionnellement. Et je sais que mon travail, qui va souvent à contre-courant de ce qui est considéré comme normal dans mon domaine, en termes d’attitudes et de pratiques, peut rendre les gens méfiants.
Par exemple :
J’ai été call-out plus d’une fois pour avoir exprimé ces idées ouvertement.
Pour être honnête, je sais que je suis taquin. Je suis un sale gosse, un trickster. C’est de cette manière que je suis au service du monde : j’explore l’inconfortable. Mais j’ai conscience que ma manière de penser peut réactiver chez certaines personnes des émotions violentes.
(Il me faut ici rappeler qu’il y a une différence entre réactiver et blesser, même si les deux sont souvent confondus dans les communautés militantes. Blesser signifie que vous causez directement la détresse physique et émotionnelle qui est exprimée. Réactiver signifie que vous faites remonter à la surface des émotions liées à des expériences passées. Parfois, la première chose à faire face à un call-out est de chercher à savoir si vous avez blessé ou réactivé. Dans cet article, nous parlons ici principalement des cas dans lesquels vous avez réactivé quelqu’un, pas blessé. Bien sûr, la frontière entre les deux est parfois floue.)
En tant que personne qui est souvent called-out, une des choses sur lesquelles j’ai vraiment porté mon attention dans ma pratique, au cours de l’année écoulée, a été d’apprendre à apprivoiser les call-out, même ceux dont je considère qu’ils vont trop loin dans la violence et la calomnie. Car, oui, même si je trouve que la culture du call-out est, pour faire simple, validiste et traumatisante, ce qui est important pour moi est de trouver un moyen de m’en faire une amie. Et la manière dont il m’a été possible de faire cela a été de comprendre le call-out comme une forme de migraine qu’aurait notre cerveau collectif. Le but ici n’est pas de remporter la discussion — il est de mettre fin à la migraine.
Donc, voici les étapes de que je suis lorsque je fais face à un call-out.
Ma priorité est de surveiller mon système nerveux et de prendre soin de moi. En fait, c’est ma priorité dans TOUTES les situations.
Le début d’un call-out peut être un moment de confusion. Il est bon de prendre le temps de récolter des informations avec précautions. Il s’agit de trouver l’équilibre, certes difficile, entre s’écrouler émotionnellement et devenir violent. C’est pour cela que la régulation du système nerveux est si importante.
Nombre de call-outs apportent des retours précieux sur mon comportement. Ils peuvent m’amener à des prises de conscience qu’il peut être à mon avantage d’intégrer. J’essaye de m’excuser activement pour les comportements que je me sens sincèrement content d’ajuster.
S’il y a des choses qui ne me semblent pas correctes, je tente de valider les émotions qui se trouvent derrière sans approuver le comportement par lequel elles se manifestent. Bien souvent, les gens peuvent avoir des mots ou des comportements violents envers leurs camarades pendant un call-out, parce qu’ils sont alors dans un état de dérégulation émotionnelle. Je sais avec confiance que je n’ai aucune obligation d’approuver de tels comportements.
En revanche, c’est la situation qui va décider de si je nomme immédiatement ces comportements ou non. Mon but est de gagner la guerre, pas la bataille. Il se peut que la meilleure manière de prendre soin de moi soit de laisser les choses retomber avant de faire entendre ma voix. Parfois, je choisis même de reconnaître les sentiments d’autrui en silence. Particulièrement quand quelqu’un est très en colère contre moi et ne répond pas à ma validation de ses émotions. C’est parfaitement ok pour moi. La manière dont je réagis aux call-out est avant tout centrée autour de ma propre intégrité.
J’adorerais que les choses soient réglées bien proprement tout de suite, mais je ne suis pas en contrôle du chemin d’autrui vers la guérison. Il n’y a rien que je puisse y faire et il serait coercitif de ma part d’essayer de contrôler cela (Cela reste vrai si j’ai blessé, et pas seulement réactivé, la personne). S’il me semble que les possibilités de réparation immédiate de la situation sont trop minces, j’effectue, d’une manière ou d’une autre, un rituel pour honorer les émotions de la personne qui me call-out puis m’occupe de mes propres blessures.
J’accepte les call-outs comme faisant partie du chemin qui me fait grandir. Ils arrivent souvent quand nous sommes sur le point de faire naître quelque chose de nouveau, que ce soit une entreprise ou un article. Les call-outs sont des carrefours où l’on découvre avec qui nous souhaitons réellement être en relation, particulièrement lorsqu’ils impliquent de nombreuses personnes comme c’est le cas des miens. Les call-outs permettent de voir en qui vous pouvez avoir réellement confiance pour vous voir et vous accueillir dans votre entièreté. C’est le plus grand bénéfice à être called-out.
À ce stade, vous risquez de vous aliéner une partie de votre public ou de votre communauté en affirmant votre vérité, ce qui inclut reconnaître vos fautes, nommer le mal commis, prendre la parole et honorer vos propres blessures. Un tri va se faire entre qui est avec vous et qui ne l’est pas. Ce moment de laisser-partir peut passer par retirer des personnes de votre liste d’amis sur les réseaux sociaux, leur écrire pour leur expliquer comment vous vous sentez et pourquoi vous leur dîtes au revoir. J’essaye de me souvenir que je ne fais pas cela que pour moi, mais aussi pour prendre soin des personnes que j’ai réactivées.
Cette étape va probablement être douloureuse et remplie de deuils, et peut être le creux de la vague du call-out.
Les call-outs nous libèrent du temps et de l’énergie, que nous pourrons dédier aux relations avec des gens qui peuvent nous accueillir dans notre entièreté, défauts compris.
Je pense que c’est un bon moment pour ralentir et témoigner de notre appréciation pour les personnes qui sont restées avec nous, même si elles n’approuvent pas tout ce que nous faisons. Il est utile de se rappeler que ces personnes sont vos porte-paroles et les meilleures de vos amies et collègues. Ce sont les personnes avec qui vous avez envie de continuer à progresser.