cover

Lettres de la prison

Aider les hommes qui ont commis des violences sexuelles
à reconstruire leur identité

Avertissement : Ce texte est particulièrement difficile à lire. Il relate le parcours d’un homme qui a subi, puis commis, des agressions sexuelles sur mineur. S’il n’y a aucune description graphique de ces abus, certains détails donnés peuvent blesser ou provoquer des réminiscences chez certaines personnes. Prenez soin de vous à la lecture.

■ ■ ■

À l’heure actuelle, Joshua est en prison pour avoir agressé sexuellement sa fille pendant trois ans. Joshua est au début de sa quarantaine, et sa fille avait onze ans au moment des premières agressions. J’ai discuté avec Joshua pendant dix-huit mois, avant sa condamnation à quatre ans de prison¹. Depuis qu’il est en prison, Joshua et moi correspondons par lettres. Dans ce chapitre, je partage le contenu des lettres de Joshua, dans lesquelles il revient sur nos conversations. Celles-ci ont tourné autour de la reconstruction de son identité de façon à ce qu’il puisse prendre plus de responsabilité pour les agressions qu’il a commises et entretenir des relations respectueuses et aimantes.

Joshua a toujours vécu de faibles revenus et a un niveau scolaire de quatrième. Avant sa dernière condamnation, il avait déjà connu la prison et reçu des soins psychologiques pour avoir provoqué des incendies, volé, et avoir sexuellement agressé sa nièce de quatorze ans ; pour son alcoolisme, également. En partie grâce au travail de Joshua pour faire amende honorable et prendre la responsabilité de ses actes [Jenkins, Joy & Hall 2003], sa femme et ses quatre enfants, dont la fille qu’il a sexuellement agressée (qui a maintenant seize ans), ont choisi de rétablir des degrés variés de relation sociale avec lui. La famille de Joshua a choisi de reconnecter avec lui, non pas parce qu’ils se sont sentis poussés à pardonner ou obligés d’oublier ses actes (ils n’ont fait ni l’un ni l’autre), mais parce que, malgré leur colère, leur indignation et leur dégoût, les membres de la famille de Joshua continuent de l’aimer.

Quand je l’ai rencontré pour la première fois, Joshua se voyait comme « mauvais », « dégoûtant » et « malsain ». Il avait honte de qui il était, et déclarait se sentir ainsi depuis longtemps. Joshua pensait que son identité était fixée, statique, immuable. Il pensait ne pas avoir de prise sur qui il était ou comment il se comportait. D’après lui, il se comportait de manière destructrice tout simplement car c’était ce qu’il était : quelqu’un d’essentiellement « mauvais », « dégoûtant » et « malsain ». Cette identité absolument négative entretenait ses comportements destructeurs.

White [2004] explique que nos vies sont constituées d’histoires. En même temps que nous vivons, nous construisons des histoires sur nous-mêmes ; ces histoires, en retour, vivent et nous construisent. Le changement était rendu encore plus difficile par le fait que l’identité de Joshua était marquée d’étiquettes totalisantes comme « agresseur » et « délinquant sexuel »². Dans ce chapitre, je montre une partie du processus utilisé pour inviter Joshua à reconstruire son identité de manière à l’aider à prendre de la responsabilité et à réparer le mal qu’il a causé en agressant sexuellement sa fille.

Ce processus passe par plusieurs étapes :

À travers les lettres que m’a écrites Joshua, je partage aussi ses efforts pour réparer le tort qu’il a commis ; efforts qui ont, en retour, créé une audience devant laquelle exposer son identité reconstruite. Ce processus de recréation identitaire a aidé à créer un contexte dans lequel Joshua peut continuer le travail de réparation des torts causés à sa femme et à ses enfants.

Identité de préférence

Dans une perspective postmoderne, la reconstruction identitaire accroît l’aspect fluide et changeant de l’identité. À travers ce prisme, le processus de reconstruction identitaire parle de libre-arbitre, de préférences et de valeurs relationnelles plutôt que d’essences fixes et définitives.

Dans ma première conversation avec Joshua, nous avons commencé à créer des alternatives possibles quant à qui il pourrait être et qui il serait capable d’être. Je lui ai demandé ce qui était important pour lui dans les relations qu’il crée avec les autres. Je lui ai demandé quelles étaient ses valeurs et quel type de relations il préférerait avoir avec sa femme et ses enfants. Joshua a commencé à parler de ce qu’il voulait pour sa femme et ses enfants, en termes de sécurité, de respect, d’attention. Comme de nombreux hommes, Joshua a été surpris de se rendre compte de ce qui était vraiment important pour lui, c’est-à-dire, de ses valeurs. Bien des hommes avec qui j’ai travaillé n’avaient jamais pris conscience de leurs préférences pour des relations aimantes, respectueuses et attentionnées. Souvent, l’influence prédominante des stéréotypes de genre les avait empêchés d’entretenir leurs relations avec soin et attention, car c’est ce qu’ils voyaient comme « le rôle des femmes ».

Nous avons exploré avec Joshua les nombreuses occasions où il avait vécu en accord avec ces valeurs et ces préférences [White 1995]. Joshua a identifié des moments où il avait agi d’une façon qui contredit les histoires saturées de négativité qu’il se raconte sur lui-même ; des moments où sa préférence pour la justice et l’honnêteté, par exemple, apparaissait évidente [Jenkins 1998a, 2005, White 1995]. Ces moments contredisent factuellement l’histoire identitaire problématique qu’il se raconte, dans laquelle il serait dépourvu de libre-arbitre et incapable de changer. (Joshua et moi avons également exploré, au cours de la reconstruction de son identité, les événements douloureux de sa vie qui l’ont conduit à adopter un jugement identitaire négatif sur lui-même, mais je ne traite pas encore de cela.)

Identifier ses préférences et ses valeurs, son identité de préférence, a permis à Joshua de confronter ses comportements abusifs à ses propres valeurs et à sa propre éthique. À partir de là, le processus de responsabilisation pour l’agression sexuelle qu’il a commise sur sa fille, qui consiste à mettre fin à de tels comportements et à s’engager dans la réparation des torts causés, peut être vu comme un chemin vers plus de respect de soi et d’intégrité [Jenkins 1998b, 2006].

Plutôt que de continuer de performer le récit identitaire qui, auparavant, était le sien, Joshua performe maintenant de plus en plus son récit identitaire alternatif, celui qui a sa préférence. Faire nommer ces préférences par Joshua lui-même permet de le rejoindre, de me positionner à ses côtés contre sa violence et les idées qui la supportent, plutôt que de me placer en opposition face à lui.

Une part importante du processus de recréation identitaire implique de s’éloigner de la pensée binaire. Auparavant, je croyais que les hommes, soit voulaient du pouvoir et du contrôle dans leurs relations, soit voulaient des relations respectueuses (Augusta-Scott 2003). Je pensais que les hommes étaient soit abusifs, soit respectueux.

En m’éloignant de cette pensée binaire, j’ai été capable de me rendre compte que les hommes veulent souvent à la fois du pouvoir et du contrôle et des relations aimantes et nourricières. Même lorsque les hommes se montrent violents et maltraitants dans leurs familles, ils veulent aussi être des hommes respectueux et prendre soin des leurs.

M’éloigner de la pensée binaire et reconnaître les contradictions présentes dans la vie des gens m’a permis de voir comment les comportements des gens peuvent contredire leurs valeurs et leurs préférences³.

Adoption de jugements identitaires négatifs

Joshua a fait le choix d’agresser sexuellement sa fille à plusieurs reprises, un choix influencé à la fois par le fait qu’il performait alors des jugements identitaires négatifs qu’il avait sur lui-même et par le fait qu’il cherchait à éviter, engourdir ou apaiser ses sentiments de honte et de souffrance. Le récit de la vie de Joshua que je vais faire maintenant se concentre sur les moments de son vécu où il a été conduit à adopter des conclusions identitaires négatives (c’est-à-dire, à conclure qu’il était « mauvais », « dégoûtant » et « malsain »). Ces conclusions identitaires sous-tendent les abus sexuels perpétrés sur sa fille. En identifiant les moments de la vie de Joshua où il a acquis ces jugements identitaires négatifs, il a été capable de remettre en question cette identité et de se rapprocher de ses inclinations vers l’honnêteté et la justice.

Aborder le vécu de Joshua en termes d’abus subis et d’injustices vécues n’excuse pas, ne justifie pas, n’atténue pas la responsabilité de Joshua pour avoir choisi d’abuser sexuellement sa fille. Les maltraitances infantiles qu’il a subies ne l’ont pas condamné à agresser sexuellement qui que ce soit. La plupart des gens qui ont été abusés sexuellement ne commettent pas d’abus sexuels. En revanche, la manière dont Joshua a fait sens des abus qu’il a subis, la manière dont il les a interprétés, a pesé sur son choix d’agresser sexuellement. Au cours des agressions sexuelles qu’il a subies, Joshua a été amené à croire qu’il était « malsain », « dégoûtant » et « mauvais », et il a agi en conséquence. Il en découle qu’explorer la signification que Joshua donne au fait d’avoir été sexuellement abusé et les conclusions qu’il en tire sur lui-même sont importants pour mettre un terme à la violence sexuelle de Joshua.

Auparavant, la pensée binaire m’amenait à croire que je devais définir l’homme avec lequel je travaillais, soit comme un auteur de violences sexuelles, soit comme une victime. Reconnaître qu’il était, d’une manière ou d’une autre, une victime, signifiait pour moi qu’il n’avait plus, pour des raisons obscures, à être tenu responsable de ses actes. En me détachant de la pensée binaire, j’ai été capable de travailler avec Joshua en le considérant comme quelqu’un d’à la fois puissant et impuissant, qui a à la fois été agressé et a commis des agressions, et qui est, toujours, responsable de ses actes.

■ ■ ■

Quand j’ai invité Joshua à me parler de son passé, il s’est d’abord montré réticent. D’autres conseillers, m’a-t-il dit, lui avaient déjà demandé de lui raconter son histoire. Il était réticent à parler des abus qu’il avait subi parce qu’il ne voulait pas se donner d’excuses pour les agressions qu’il avait commises, et qu’il ne voyait aucun lien entre les agressions qu’il avait subies et celles qu’il avait fait subir à sa fille. Une autre raison pour laquelle il ne voulait pas me dire qu’il avait été agressé est que cela confirmait, pour lui, les jugements identitaires négatifs qu’il se faisait sur lui-même (qu’il était « mauvais », « dégoûtant » et « malsain »). C’est seulement après avoir commencé à parler des conséquences pour sa fille des agressions sexuelles qu’il avait commises que nous avons commencé à parler de son passé. En réfléchissant à ce que sa fille avait dû vivre, il commença à se remémorer ses propres expériences infantiles d’abus sexuels.

Au cours des dix premières années de sa vie, Joshua a été régulièrement agressé sexuellement et torturé par son grand frère et ses amis. Chaque jour, il courait sur le trajet de l’école, à l’aller et au retour, en se cachant pour essayer d’éviter ses bourreaux. Il se voyait comme responsable de ces maltraitances et en tirait la conclusion que quelque chose n’allait pas chez lui, qu’il était « mauvais », « malsain » et « dégoûtant ». Joshua se sentait alors coupable et honteux. Il m’a raconté s’être senti seul, blessé, effrayé, isolé, pendant toute cette période de sa vie. Il m’a dit aussi que la majorité de son enfance a été passée à « faire semblant » d’aller bien.

Alors que nous continuions à explorer les effets que les abus avaient eu sur lui, Joshua a été mortifié de commencer à prendre conscience que, peut-être, sa fille pourrait se sentir responsable, mauvaise, malsaine et dégoûtante à cause des abus sexuels qu’il lui avait fait subir. Quand il étudiait les effets des agressions commises sur sa fille, Joshua était fermement convaincu que c’était lui, et non pas sa fille, qui était entièrement à blâmer, complètement responsable des agressions. En se remémorant ensuite son passé, il a alors commencé à se demander si, peut-être, lui aussi avait pu ne pas être responsable des agressions qu’il avait subies. Plutôt que de continuer à se fustiger, il a commencé à se dire que, peut-être, ceux qui l’avaient agressé quand il était petit avaient été complètement responsables des abus qu’il avait subis, comme il était lui-même complètement responsable des abus commis sur sa fille.

De plus, en comprenant comment il avait été amené à se penser lui-même comme « mauvais » et « dégoûtant », Joshua a été capable de remettre en question l’idée que cette identité était fixée et statique. Il commença à réaliser qu’il avait acquis ces conclusions négatives sur lui-même ; qu’elles n’étaient ni naturelles ni innées. Il commença à réaliser qu’il pouvait faire des choix quant à comment il agissait et qui il voulait être. Il pouvait choisir de vivre en accord avec les valeurs et les attitudes qui avaient sa préférence plutôt que de croire que la perpétration d’actes destructeurs lui était inévitable. Joshua a alors exprimé du soulagement à l’idée qu’il n’était pas condamné à réitérer toute sa vie les comportements destructeurs qui venaient confirmer ces conclusions identitaires négatives et douloureuses.

■ ■ ■

Les jugements identitaires négatifs de Joshua avaient été renforcés par d’autres expériences traumatiques et par son recours à des comportements destructeurs pour faire face à ces expériences. Par exemple, alors que Joshua avait dix ans, son père déménagea avec sa famille dans une autre communauté, sans emmener avec lui son fils aîné. Joshua décrivait son père comme la seule personne de qui il était proche. Il raconte que sa vie était devenue meilleure sans son frère, qu’il n’avaient plus besoin de se mentir à lui-même et de « faire semblant » que tout allait bien. Un jour, alors que Joshua avait seize ans, son père, qui souffrait de diabète depuis plusieurs années, lui demanda de l’aider à porter des seaux d’eau chez les voisins. Joshua refusa, et son père entreprit de porter lui-même les seaux d’eau. Il eut une crise cardiaque dans l’allée devant chez lui. Joshua courut à son tour dans l’allée et son père mourut dans ses bras. Il se reprocha de ne pas avoir aidé son père à porté les seaux d’eau. « J’ai tué mon père », raconta-t-il. De cette expérience, Joshua en conclut qu’il était mauvais, et se sentit honteux et coupable. Le sens que Joshua donna à la mort de son père vint renforcer le récit de lui-même comme « mauvais », « dégoûtant » et « malsain ». Ayant perdu son père – la seule personne dont il était proche – les sentiments de « solitude accablante, peur et profond désespoir » revinrent. Il a alors été renvoyé vivre chez son grand frère, celui qui l’avait agressé sexuellement précédemment. À ce stade, centré sur sa propre souffrance, Joshua a commencé, pour pouvoir se sentir mieux, à boire, voler, allumer des incendies, et à abuser sexuellement de sa nièce. Joshua performait ses conclusions identitaires négatives en agissant de manière destructrice et auto-centrée. Ces agissements, en retour, lui confirmaient cette identité négative.

Après sa sortie de prison, à l’âge de vingt-huit ans, pour avoir volé et allumé des incendies, Joshua raconte s’être senti mieux pendant dix ans – il ne « faisait plus semblant ». Au contraire, il se montrait honnête avec lui-même et avec les autres. Il vécut alors un autre événement traumatique, alors qu’il travaillait avec un ami proche à une construction routière. Joshua était responsable de la sécurité du chantier et avait été prévenu de la dangerosité du rouleau-compresseur pour les membres de l’équipe. Peu de temps après, Joshua assista à la mort de son ami, écrasé par le rouleau-compresseur. Comme pour son père, Joshua se souvient avoir tenu le corps de son ami mort dans ses bras. Joshua se tint pour responsable de sa mort, ce qui renforça les conclusions identitaires négatives qu’il avait sur lui-même. Il interpréta cet événement comme une preuve supplémentaire qu’il était « mauvais » et fut à nouveau assailli de sentiments de culpabilité et de honte, ainsi que d’une écrasante solitude, comme pendant son enfance. Il commença à revivre dans ses cauchemars ses expériences d’abus sexuels infantiles, il envisagea le suicide. Pour fuir la honte liée à son identité, qu’il pensait ne pas pouvoir changer, Joshua recommença à se droguer et à boire.

Peu de temps après la mort tragique de son ami, on diagnostiqua à la fille de Joshua un diabète. Parce qu’il supposait que sa fille l’avait génétiquement hérité de lui, Joshua se reprocha aussi le diabète de sa fille. Le sens que Joshua donna à cette expérience renforça ses conclusions identitaires négatives. Ses sentiments de solitude écrasante, d’isolement et de peur furent encore intensifiés, parce qu’il pensait que sa fille allait mourir en le laissant seul, comme son père avant elle. Mais Joshua continua à « faire semblant » que tout allait bien, mentant aux autres et à lui-même. C’est alors qu’il commença à augmenter sa consommation d’alcool et de drogue pour se sentir mieux ; finalement, il commença à agresser sexuellement sa fille.

La préoccupation de soi : étudier les justifications et les excuses

Une part du travail de responsabilisation de Joshua devant l’agression sexuelle de sa fille a été de reconnaître en quoi il était alors préoccupé par sa propre douleur, et les moyens irresponsables qu’il avait utilisés pour faire face à ses émotions douloureuses. Cela impliquait d’étudier et de remettre en question les idées et les excuses que Joshua avait utilisées pour justifier les abus sexuels sur sa fille. En identifiant clairement ces justifications et ces excuses, il a été plus facilement capable de les interrompre et de les remettre en question.

Joshua se racontait à lui-même qu’il réconfortait sa fille, pour qu’elle ne se sente pas aussi vide et seule que lui. Dans les moments qui menaient aux agressions, en plus de se dire qu’il faisait cela pour elle, il se disait aussi qu’elle aimait cela. Il a choisi d’interpréter les attentions positives que sa fille cherchait auprès de lui ou lui accordait comme des preuves qu’elle appréciait ses attentions sexuelles. Joshua a réalisé qu’il avait appris à sa fille qu’elle devait se montrer sexuelle pour avoir droit à son attention. Au cours de nos conversations, il a aussi passé plusieurs sessions à explorer comment il avait pu ignorer les résistances de sa fille aux agressions (par exemple, elle ne le regardait pas, etc.), et comment il avait fait pression sur elle pour qu’elle n’en parle à personne. Joshua a identifié les moyens par lesquels il a trompé, manipulé et réduit sa fille au silence, ainsi ceux par lesquels il se justifiait alors ces actions.

Joshua raconte que ses agressions sexuelles sur sa fille étaient en partie liées à son incapacité à maintenir une relation sexuelle avec une adulte, en l’occurrence, sa femme. Il se sentait insuffisant et se pensait incapable de gérer émotionnellement des relations sexuelles adultes avec sa femme et s’est tourné à la place vers sa fille. À certains moments, quand il agressait sexuellement sa fille, Joshua l’appelait « Sue », plutôt que « Susan », comme il le faisait d’habitude. En se penchant sur cette distinction, Joshua comprit que quand il l’appelait « Sue », il était capable de prétendre qu’il avait une relation sexuelle avec une adulte plutôt qu’avec sa fille « Susan ». Joshua raconte que cette mascarade lui permettait momentanément de ressentir l’abus sexuel comme acceptable.

■ ■ ■

Revenant sur notre conversation, Joshua a écrit une lettre à propos des effets douloureux que les violences qu’il a subies ont eu sur lui et les manières destructrices par lesquelles il apaisait, engourdissait, et évitait sa propre souffrance :

« Mais le plus gros problème que j’avais était ce sentiment profond de solitude, de culpabilité, de honte… Je me sentais perdu, j’étais blessé en moi tout le temps, et je ne savais pas que j’étais blessé. Alors je buvais et faisais d’autres trucs que je n’aurais pas dû faire, pour me faire me sentir mieux. Mais je ne faisais rien d’autre que me mentir. Ces prétendues bonnes sensations, c’était seulement pour une courte période de temps, et je me sentais toujours encore pire après. C’est pareil pour l’agression sexuelle de Susan. Ça me faisait me sentir bien parce que je pensais que ça la faisait se sentir bien. Mais après avoir abusé d’elle je me sentais pire. Je crois que la boisson, les départs de feu (pour mes propres besoins égoïstes d’attention) et les abus sexuels que j’ai commis, c’était juste des moyens bidons pour me faire me sentir bien. »

Dans cette lettre, Joshua identifie sa préoccupation pour sa propre douleur et ses tentatives de se faire lui-même aller mieux. Dans une autre lettre, Joshua revient sur l’étude des « déclencheurs » et des justifications auto-centrées qui l’ont amené à agresser sexuellement sa fille. En identifiant ses « signes d’alerte » et ses excuses, Joshua a commencé à pouvoir interrompre ces mécanismes, à remettre en question ces idées, et à ne plus les laisser dégénérer jusqu’au passage à l’acte. Joshua écrit :

« Je suis la personne que je veux être maintenant. Mais le truc, c’est de rester cette personne. Je sais qu’il y a plein de déclencheurs différents qui pourraient me renvoyer sur le mauvais chemin. Mais je sais ce que sont ces déclencheurs maintenant, donc, j’espère, je vais pouvoir les voir venir. Je sais que je prends les événements traumatiques dans ma vie beaucoup trop durement, et que je les vois de manière différente, et pire, que les autres gens. Mais le truc qui m’a le plus aidé à changer c’est le fait que j’ai fait face à mon enfance avec vous, Tod, et que je continue à le faire. Je n’avais jamais parlé à personne de mon enfance. Il n’y a que vous qui savez, et, maintenant, [ma femme] Mary. Mais je ne vais plus le garder secret maintenant. J’ai regardé toute ma vie, et je vais continuer à la regarder, et faire le tri dans toutes les choses douloureuses dans ma vie. Parce que je crois que c’est la clef pour devenir meilleur. »

Joshua décrit l’importance d’étudier son enfance pour remarquer comment il a été amené à avoir ces conclusions identitaires négatives qui ont influencé son choix de commettre des abus sexuels et d’autres choix irresponsables. Plutôt que de fuir la douleur et le trauma, Joshua leur fait face et trouve des moyens responsables de gérer les effets des abus qu’il a subis. Il a aussi identifié l’importance de continuer à étudier et surveiller ses pensées, ses ressentis, et les possibles « déclencheurs » qui peuvent mener à une agression sexuelle, de manière à pouvoir interrompre la descente jusqu’au passage à l’acte.

Reconstruire son identité face à la honte

Quand il s’agit de travailler sur des enjeux de violence, la reconstruction identitaire implique souvent d’explorer la signification que les hommes attribuent à la honte qu’ils ressentent vis-à-vis des agressions qu’ils ont commises.

Souvent, ils voient leur honte comme un indice supplémentaire confirmant les jugements identitaires négatifs qu’ils ont sur eux-mêmes. Dans le processus de reconstruction identitaire, nous invitons les hommes à comprendre que la honte liée à leurs actions peut être vue, au contraire, comme une information sur leurs valeurs et leurs modes de relations préférés. Les hommes peuvent voir leur honte comme la preuve qu’ils préfèrent s’opposer aux maltraitances et construire des relations respectueuses et bienveillantes. Reconstruire son identité, pour un homme, passe par le fait de cesser de voir sa honte comme une détestation de qui il est – une identité fixe, un soi pensé comme immuable – mais de la voir comme une détestation de son comportement. Il apprend à considérer comment ses actes ont pu être des fautes, plutôt que de se définir lui-même comme une faute. La honte qu’il ressent vis-à-vis de son comportement est redéfinie comme la preuve de ce que sont ses valeurs, et du fait qu’il préférerait ne pas adopter des comportements aussi irresponsables.

Cette partie du processus de reconstruction identitaire passe par le fait de demander à un homme ce que la honte qu’il ressent pourrait dire de ses valeurs ou de ce qui est important pour lui. Alan Jenkins [1998a, 2005] a écrit plusieurs lignes de questionnement qui aident à guider cette introspection :

Souvent, en réponse à ces questions, les hommes commencent à voir le fait de ressentir de la honte comme la preuve qu’ils valorisent et préfèrent l’amour et le respect à la violence. Faire de leur honte la preuve de leur désir de relations aimantes autorise les hommes à ressentir cette honte et, en retour, crée la possibilité de travailler sur les maltraitances et d’y mettre un terme. Ce travail permet de vivre le chemin vers la fin des violences comme un chemin vers l’intégrité et le respect de soi. Lorsque les hommes confrontent leur violence en faisant face à leur honte, ils sont capables de développer du respect pour eux-mêmes [Jenkins 1998b, 2006]. Certaines lignes de questionnement peuvent aider à guider ce processus, comme celles-ci [Jenkins 1998a] :

Faire face aux abus commis et à sa honte a permis à Joshua de reconstruire une identité qu’il préfère. Voici d’autres lignes de questionnement qui ont permis de renforcer chez Joshua un sentiment d’intégrité pour avoir choisi le chemin consistant à faire face et à mettre fin aux abus :

En explorant ces questions, les hommes ressentent souvent de la honte et du chagrin pour avoir commis des agressions, et, en même temps, se sentent intègres de reconnaître ces émotions et de s’engager à mettre fin à ces violences.

■ ■ ■

Dans l’une des lettres qu’il m’a écrites, Joshua me parle de sa honte d’avoir agressé sexuellement sa fille comme la preuve qu’il se préfère en père respectueux et bienveillant :

« Ça me fait me sentir encore plus coupable. Mais ces émotions sont là pour me dire quelles sont mes vraies valeurs. Donc me sentir coupable et honteux pour la douleur que j’ai causée à ma fille, à ma femme et aux autres, c’est ce que j’appellerais une saine culpabilité et une saine honte. Ce n’est pas du tout comme la culpabilité et la honte que je ressentais, enfant, quand je subissais toutes sortes de maltraitances. Ces émotions de quand j’étais enfant étaient bidon, mal placées. Je pense qu’elles étaient destinées à mes frères et leurs amis, et à d’autres gens dans la communauté. »

Il explique que la honte et la culpabilité qu’il a ressenties enfant auraient dû être acceptées par ceux qui ont abusé de lui – « mes frères et leurs amis, et d’autres gens dans la communauté ». Les hommes sont invités à attribuer la responsabilité des maltraitances à ceux qui les commettent plutôt qu’à ceux qui les subissent. Comme mentionné plus tôt, Joshua a réalisé que, de la même manière que sa fille n’était en aucune manière responsable des violences sexuelles qu’il lui avait fait subir, il n’était responsable en rien des violences sexuelles qui lui avaient été infligées. Ce processus a permis à Joshua de reconnaître également qu’il n’avait pas été responsable de la mort de son père, ou de celle de son ami, ou du diabète de sa fille, ce que l’histoire saturée de négativité qu’il avait construite sur lui-même l’avait amené à croire. En même temps, Joshua a identifié l’importance d’accepter la honte d’avoir abusé de sa fille. Il lui a été plus facile de prendre de la responsabilité et de faire face à sa honte une fois celle-ci définie comme une preuve de ce qu’était son identité de préférence [Jenkins 1998a, 2005].

Encourager les hommes à se responsabiliser et à faire face à leur honte vis-à-vis de leurs comportements abusifs sans transformer le sens qu’ils donnent à cette honte est inutile, voire néfaste. Rappelons que les hommes voient initialement leur honte comme une preuve des conclusions identitaires négatives qu’ils se font sur eux-mêmes (c’est-à-dire, la preuve qu’ils sont « mauvais »). Ces conclusions identitaires négatives fondent leurs choix de commettre des abus sexuels. Sans changer la signification de cette honte, leur faire prendre conscience de leur violence et de leur honte peut involontairement renforcer ces conclusions identitaires négatives, qui fonderont en conséquence la perpétration de nouvelles agressions sexuelles.

La honte que Joshua ressent et accepte aujourd’hui reflète sa prise de responsabilité quant au fait d’avoir agressé sexuellement sa fille. Pendant le processus de reconstruction de son identité, il a maintenant associé sa honte à ses actions, plutôt qu’à une identité négative définitivement fixée. La signification qu’il accorde à sa honte ne soutient plus ses jugements identitaires négatifs qui l’empêchaient de voir sa capacité à changer. Joshua voit aussi dans sa honte la preuve que ses préférences vont à des actions qui mènent à des relations bienveillantes et respectueuses.

■ ■ ■

Plus récemment, Joshua a commencé à avoir des conversations avec des codétenus, eux aussi emprisonnés pour avoir commis des agressions sexuelles. Il a commencé à les aider à relier leur honte aux comportements qui ont été les leurs et à voir en elle la preuve de leur préférence pour des relations justes et respectueuses. Joshua écrit :

« Un gars a dit qu’il n’y avait plus d’espoir pour lui parce qu’il avait blessé trop de monde et fait trop de mauvaises actions. Il disait que ça lui faisait terriblement mal de regarder en arrière et de voir tout ce qu’il avait fait. Je lui ai dit que c’était ça son espoir, cette souffrance qu’il ressentait. Que c’est dans cette souffrance que les changements peuvent vraiment prendre place. Et je lui ai expliqué que c’était sa conscience et son empathie qui le faisaient souffrir. »

L’idée ici n’est pas d’atténuer la honte que ressentent les hommes. Au contraire, la reconstruction identitaire accentue ce sentiment en même temps qu’elle l’honore. Il ne s’agit pas de « pardonner et oublier » ; au contraire, il s’agit de se souvenir et de vivre avec la honte que l’on peut ressentir quand l’on a agressé sexuellement sa propre fille.

Joshua reconnaît que la reconstruction de son identité ne diminue d’aucune manière, ni sa responsabilité, ni la souffrance qu’il a causée aux autres. Il reste connecté à la honte d’avoir agressé sexuellement sa fille. La reconstruction de son identité a rendu possible pour lui de confronter le récit sur lui-même qui avait fondé son comportement abusif. Joshua écrit :

« Tod, vous vous souvenez que j’avais l’habitude de dire de moi « je suis mauvais », « je suis maléfique », « je ne suis bon à rien ni pour personne » ? Eh bien, je me suis rendu compte que c’était vrai, mais seulement à certains moments. Il n’y a aucun doute que j’ai été tout ça. Mais j’ai aussi réalisé que j’ai été un vrai père pour mes enfants à certains moments, et que parfois j’ai été une bonne personne pour les gens. Et j’ai été un bon mari pour ma femme à des moments aussi. Donc je me suis demandé lequel de ces types de personnalités je voulais et… Ben, bien sûr, je voulais être la bonne personne. Mais pour vraiment être une personne véritablement bonne, je crois que je devais affronter cette mauvaise personne qui était en moi. Je sais que nos discussions m’ont aidé à voir que je n’avais pas toujours été mauvais et que je pouvais changer ce que je faisais de mauvais en bonnes choses. J’ai beaucoup réfléchi à qui j’étais et à qui je voulais être. »

Joshua met en exergue que, même s’il construit une histoire identitaire qu’il préfère, sa vie reste composée d’une pluralité d’histoires. Son histoire préférée sur lui-même n’annule ni ne remplace son passif de comportements destructeurs et les effets traumatiques qu’il a eus et et continue d’avoir sur les autres. Plutôt que de se distancier de la gravité de son comportement abusif, Joshua montre comment le fait de se connecter à ses valeurs et à son identité de préférence accroît sa capacité à prendre de la responsabilité pour ses actes. Il puise maintenant dans sa propre éthique et dans ses propres valeurs pour être capable de supporter la honte qu’il ressent et se confronter à son comportement irresponsable. Joshua est capable de se distancer du narratif saturé de négativité qu’il avait sur lui-même et de nourrir d’autres possibilités quant à qui il peut être.

Restauration

Ayant établi une identité de préférence et reconnu sa capacité à faire face à sa violence et à sa honte, Joshua est capable, et de mettre fin aux violences, et de faire face aux effets que ses actions ont eus, et peuvent encore avoir, sur les autres. Joshua est capable d’écouter et d’entendre directement de sa compagne et de ses enfants le détail des effets que ses choix ont eus sur eux.

Au cours des deux années et demie passées, Joshua a travaillé à faire face aux effets sur sa famille des agressions sexuelles qu’il a commises. Plutôt que de se centrer sur sa propre expérience, la restauration consiste à laisser Joshua s’impliquer dans une plus grande compréhension du vécu de sa fille, et de celui des autres personnes impliquées, en relation avec les violences sexuelles. Le procédé de réhabilitation implique d’accepter la honte liée à ses actions et sa responsabilité. Joshua s’est investi dans l’étude des expériences des autres personnes impliquées. Il a eu de nombreuses conversations avec les membres de sa famille, dans lesquelles ils ont pu exprimer leur douleur, leur colère et leur déception. Pendant ces conversations, Joshua écoute et travaille à prendre la pleine responsabilité des effets de ses actions sur chacun d’entre elles et eux.

Dans la phase de restauration, le centre d’attention n’est plus la douleur de Joshua, ou les promesses ou excuses creuses qu’il pourrait faire, comme il en a faites dans le passé. Il n’est pas nécessaire pour la restauration que celles et ceux qui ont été ses victimes pardonnent Joshua en retour. S’engager dans un tel processus ne rend pas Joshua légitime à attendre en retour une quelconque forme de réconciliation. Si la personne abusée souhaite rester en contact, il ou elle a la légitimité de déterminer le degré de reconnexion [Jenkins et al. 2003]. Joshua s’ouvre à l’autre sans attendre en retour aucune forme d’acceptation ou de pardon. Il s’implique dans la réparation des torts qu’il a causés par son comportement en sachant que celui-ci ne pourra jamais être annulé ou oublié [Jenkins et al. 2003].

Enfin, Joshua a décidé qu’il souhaitait participer à une restauration plus générale auprès de la communauté dans son ensemble. Il a donc commencé à en parler avec moi et avec le conseiller du centre local d’action contre les violences sexuelles, avec comme intention de rendre à la communauté en aidant ceux qui travaillent avec les personnes blessées par des agressions sexuelles. Il voulait donner aux personnes essayant d’aider une plus grande compréhension de ceux qui commettent des agressions sexuelles. De plus, dans ce but, Joshua a récemment agi comme consultant pour trois étudiants menant une recherche universitaire pour des interventions cliniques auprès de personnes ayant commis des abus sexuels. En plus de tout cela, il a accepté d’être interrogé par des hommes en présence d’un travailleur social d’une maison de transition locale. Le conseiller du centre d’action contre les violences sexuelles, le conseiller de la maison de transition ainsi que les étudiants ont témoigné avoir été frappés par l’honnêteté et le courage dont Joshua faisait preuve en confrontant ce qu’il avait fait à sa fille. Ils ont aussi dit avoir trouvé ces discussions très encourageantes.

En plus de ses efforts de restauration auprès de sa famille et à sa communauté proche, Joshua a continué, par d’autres moyens, de réparer les dégâts causés à la communauté. Il prête maintenant son écoute à de nombreux hommes qui sont en prison pour avoir commis des agressions sexuelles. Il consacre de nombreuses heures de sa journée à lutter contre les violences sexuelles en essayant d’aider d’autres personnes qui en ont commises. Joshua m’a partagé ses discussions avec un homme qui est aussi en prison pour agression sexuelle :

« Il avait dit en session de groupe qu’il n’aimait pas ce qu’il voyait quand il regardait en arrière, les actions qu’il avait commises. En fait, ça le mettait vraiment de plus en plus en détresse. Donc je lui en ai parlé aujourd’hui, et je lui ai demandé pourquoi il se sentait si mal. Il disait qu’il ne pouvait pas croire qu’il avait fait toutes ces choses, et qu’il se haïssait. Il me disait qu’il se sentait tellement coupable et honteux qu’il voulait mourir. Donc je lui ai dit que je m’étais senti comme ça l’été dernier. Et je lui ai dit : « Tu devrais te sentir bien de te sentir si mal ».

Il m’a répondu : « Non, mais, t’es malade ou quoi ? ».

J’ai dit « Non, mais réfléchis-y – si tu ressens tout ça, c’est que tu ne t’en fous pas. Ça veut dire que tu es humain. Ça veut dire que tu as commencé à guérir. »

Alors, après un moment, il est revenu et il m’a dit « J’ai réfléchi à ce que tu m’a dit, et je vois ce que tu veux dire ». Il m’a dit « Je me sens plutôt bien. Je ne suis pas un monstre. Je peux être une bonne personne ».

Je lui ai dit « Oui, tu peux ».

Et il s’est ouvert à moi et il m’a raconté tout son cas dans le détail. Il s’est arrêté plusieurs fois pour pleurer. C’était si émouvant, Tod. J’aurais aimé que vous soyez là. On a parlé pendant environ trois heures – enfin, il a parlé. C’était la plus belle chose au monde. Je viens juste de lui parler, cet après-midi, et il est vraiment content, et il se sent vraiment bien avec lui-même. C’est vraiment une chose incroyable, que de voir quelqu’un prendre des sentiments négatifs aussi profonds et en faire quelque chose de bon. Il n’arrête pas de me remercier, et il me dit qu’il voit les choses différemment maintenant. Il veut qu’on aille ensemble en promenade cette nuit pour qu’il me présente d’autres gars qui sont ici pour les mêmes raisons que nous. »

■ ■ ■

Avoir la possibilité d’aider d’autres personnes à cesser de commettre des abus est en phase avec la préférence de Joshua pour le fait de s’opposer à l’injustice. Joshua apporte à ces hommes un support sur lequel ils pourront s’appuyer pour commencer le processus de responsabilisation et de restauration. Joshua continue :

« Je dois dire, Tod, que je me sens vraiment fier de moi. Je pense que je fais de bonnes choses : aider les enfants à lire, m’éduquer plus, et être un ami pour ces mecs et les aider à voir ce dont ils sont capables. Et tout ça vient de ce que vous m’avez transmis. Et c’est fantastique de le transmettre à d’autres. Vous m’avez montré le bien qu’il y avait en moi, et maintenant j’ai une chance de montrer à d’autres le bien qu’il y a en eux. Et je sais avec certitude que ces gars peuvent faire de bonnes choses, et, peut-être, ne plus faire de mal à d’autres.

Il y a d’autres gars avec qui je parle, et deux d’entre eux veulent que je déménage dans leur bloc. Ils disent que je les comprends mieux qu’ils ne se comprennent eux-mêmes. Quand je parle à ces mecs, on se dit tout, ils me racontent des choses qu’ils ne peuvent pas raconter aux autres. J’ai construit une vraie confiance avec chacun de ces gars. Ils pleurent, ils me prennent même dans leurs bras. J’adore être là pour eux, ils ont besoin de quelqu’un qui est passé par là aussi et qui les comprend. Je suis si stupéfait de combien d’entre eux s’ouvrent à moi, et à moi seul. Je sais qu’ils se sentent à l’aise avec moi et ils savent que je me soucie vraiment d’eux (et je me soucie vraiment d’eux, Tod)… J’ai trouvé ça formidable. J’ai l’impression de faire quelque chose de vraiment important ici, Tod, et ça m’aide moi aussi en retour. Bon, je dois y aller, maintenant, Tod.

Prenez soin de vous.

Joshua. »

En aidant d’autres hommes en prison à prendre de la responsabilité pour les agressions sexuelles qu’ils ont commises, Joshua expérimente une nouvelle manière d’être au monde. Plutôt que de « faire semblant », il s’habitue à être honnête avec lui-même et avec les autres, à prendre de la responsabilité, à affronter sa honte et sa gêne. Joshua n’est pas excessivement confiant dans les changements qu’il fait sur lui. Il reste humble sur ces changements. Il n’est pas surprenant que Joshua puisse être « la seule personne » à qui certains hommes ont pu parler au début, étant donné que ce sont des crimes sexuels évoqués dans un contexte carcéral. Il n’a pas perdu de vue son chemin personnel en devenant excessivement zélé ou évangélisateur vis-à-vis des autres comme s’il avait « tout compris » lui-même. De la même manière que les effets du comportement de Joshua ne seront pas oubliés, il n’oublie ni ne bannit sa honte d’avoir commis une agression sexuelle. Joshua vit avec sa honte et la supporte en regagnant, au fil du temps, son intégrité par des actions respectueuses et responsables [Jenkins et al. 2003].

Joshua reste attentif à surveiller ses pensées et ses actions chaque jour. Auparavant, pour supporter le stress et la honte d’aller en prison pour quatre ans, il aurait « fait semblant » que tout allait bien, se mentant à lui-même et aux autres, et fuyant ses émotions dans la consommation d’alcool ou la commission d’agressions sexuelles. Aujourd’hui, il fait face à son stress et à sa honte, plutôt que de fuir ou d’éviter ces émotions, et il se respecte pour cela. Il accepte sa peine de prison comme part d’un processus plus large de prise de responsabilité et accepte les conséquences de ses actions.

Audience

À travers le processus qui a permis la possibilité de réparation, Joshua a pu performer son identité de préférence devant d’autres et diffuser cette image de lui. Le conseiller du centre d’action contre les violences sexuelles, les étudiants, le travailleur social de la maison de transition, ceux qui sont en prison avec Joshua sont tous devenus des éléments d’une audience pour ses changements. Les retours reçus de la part de cette audience soutiennent et renforcent l’implication de Joshua dans son identité reconstruite, qui lui permet d’avancer sur le chemin de l’acceptation, toute sa vie durant, du poids de la honte d’avoir agressé sexuellement sa fille (White 1995). La diffusion par son audience de l’histoire réécrite de Joshua et la confiance de cette audience en son histoire aide Joshua à persévérer dans les changements qu’il fait au fil du temps.

J’ai reçu récemment une lettre à laquelle je ne m’attendais pas, de la part d’un homme incarcéré que je ne connais pas. Cette personne fait partie de l’audience de Joshua, c’est un témoin de ses tentatives de restauration. Il s’agit d’un certain Kirk, un des hommes avec qui Joshua parle en prison, qui a lui aussi agressé sexuellement un de ses enfants. Il écrit :

« Je sais que Joshua vous a parlé de nos conversations. Vous avez tout à fait raison de supposer qu’elles sont uniques. Avec n’importe quelle autre personne, je me serais déjà fait casser la gueule. Joshua m’a aidé à comprendre à quel point j’ai eu tort dans ce que j’ai fait… Il m’a convaincu qu’il se souciait vraiment de ce qui m’arrivait. Il dit que je l’ai aussi aidé avec sa culpabilité et ça m’a fait me sentir utile à quelque chose pour la première fois depuis des années… Il m’a aussi donné un objectif à atteindre. C’est de m’assurer que je ne ferai jamais, au grand jamais, une autre victime. J’aimerais que Joshua fasse partie des employés de la prison. Je crois qu’il pourrait aider bien d’autres personnes, des gens comme moi qui savent dans leur cœur, avec certitude, qu’ils ont tort d’avoir fait ce qu’ils ont fait. »

Avec l’autorisation de Kirk, j’ai partagé cette lettre avec Joshua, et il m’a dit qu’elle le faisait se sentir soutenu et poussé plus avant dans son engagement à vivre selon ses valeurs. Joshua a commencé à sentir que son identité reconstruite devenait plus forte au fur et à mesure que des gens la reconnaissaient et l’appréciaient.

Conclusion

Dans ce texte, j’ai montré l’importance pour Joshua de reconstruire son identité et de prendre la responsabilité de l’agression sexuelle qu’il a commise sur sa fille. Le processus de reconstruction a impliqué l’énonciation par Joshua de son identité de préférence et l’identification des éléments de son passé qui pourraient soutenir cette identité. Joshua a aussi identifié comment il a été amené à adhérer à des jugements identitaires négatifs sur lui-même. Enfin, il a noté la manière dont il a agi, en cohérence avec ces jugements négatifs, de manière destructrice et auto-centrée pour tenter d’apaiser sa honte et sa culpabilité.

Pour Joshua, réécrire son identité nécessitait de faire face à sa honte d’avoir commis une agression sexuelle et à sa prise de responsabilité à ce sujet. Après avoir réécrit son identité et étudié les effets de sa violence, Joshua a créé une base à partir de laquelle il peut entendre ce qu’ont traversé sa compagne et ses enfants à cause de ses actions. Il est à une place où il peut commencer le processus de restauration auprès de sa famille et de la communauté au sens large. En retour, comme l’indiquent les messages envoyés par Joshua depuis la prison, se développe une audience qui soutient ses efforts pour vivre en cohérence avec son identité de préférence.